Les TAMOULS

du SRI LANKA

    
  

 

Des affres de la guerre aux
portes de la paix

        Le conflit armé opposant indépendantistes tamouls et forces gouvernementales sri lankaises est, à l'heure où j'écris ces lignes, peut-être sur le point de trouver une issue heureuse : le LTTE (mouvement armé des Tigres de Libération de l'Eelam Tamoul), lors des actuelles négociations en Thaïlande avec le gouvernement de Colombo, vient d'annoncer qu'il renonçait au combat pour l'indépendance. Ce pourrait être le terme d'une guerre civile, peu médiatisée dans les pays francophones, mais qui a duré deux décennies et fait, estime-t-on, 60 000 victimes. Au-delà du nombre de vies perdues, on retiendra aussi la sauvagerie des actions : tueries dans les deux camps, massacres et autres attentats suicides (plusieurs centaines de la part des LTTE). On retiendra que Sri Lanka est un des deux ou trois premiers pays au monde pour le nombre de disparitions d'individus. On retiendra encore que des dizaines de milliers de Tamouls ont choisi le chemin de l'exil : vers le Canada, l'Angleterre, l'Australie, la France... On retiendra enfin que l'économie du pays, en passe de suivre la pente ascendante des plus dynamiques nations du sud-est asiatique dans les années '70, a dû stagner désespérément depuis le début des affrontements, pour cause d'effort de guerre.    
    

     En fait, l'histoire entière de Sri Lanka depuis ses lointaines origines a montré que la guerre entre Cinghalais et Tamouls est une réalité récurrente. Mais ce qui s'est passé depuis 1983, et même plusieurs années avant, ne saurait évidemment être pleinement comparé aux luttes entre rois d'un passé déjà fort ancien. La période coloniale a modifié bien des données et, pour ne parler que de sa dernière phase - celle de la domination britannique - a partiellement créé des conditions favorables aux développements récents du conflit. On sait à quel point "diviser pour régner" a pu constituer un mot d'ordre capital dans l'Empire Britannique. En favorisant l'élite tamoule minoritaire, celui-ci a ravivé des tensions ancestrales et à préparé une dynamique défavorable à ces mêmes Tamouls pour les décennies d'après 1948 (date de l'indépendance). A leur tour, les Tamouls ont pu se sentir brimés, frustrés dans leur culture, leurs aspirations, leur quotidien : suffisamment pour que vienne des temps de sang et de feu.

     En 1956, le cinghalais est déclaré seule langue officielle. C'est en 1972, deux ans après la réforme constitutionnelle faisant de Sri Lanka un pays bouddhiste, que fut fondé le groupe des TNT : Tamil New Tigers, devenus les LTTE quatre ans plus tard. Si l'on fait remonter généralement à 1983 le début de l'actuel conflit, il faut se souvenir qu'au milieu des années '70, les militants tamouls, parfois agressifs, furent la cible d'actions policières vilolentes. En 1977, après des élections ayant placé au pouvoir Junius Richard Jayewardene, plus de 250 Tamouls auraient été tués et des dizaines de milliers contraints à fuir de chez eux. Nouveaux pogroms, enlèvements, torture... devinrent de plus en plus fréquents à partir de 1979. Enfin, 1983 marqua effectivement le début d'une lutte sans merci : 13 morts dans l' attaque d'un bus militaire par les LTTE, 600 mort dans les massacres et incendies des quartiers tamouls de Colombo, en représailles.

    Dès lors, les haines vont croître et les horreurs se multiplier. Contentons-nous de quelques points de repères, quelques exemples qui diront à peine l'ampleur des événements : 148 tués lors d'une attaque des LTTE en '85 sur Anuradhapura, 117 morts lors d'un attentat à Colombo en '87, 542 assassinats politiques lors de la seule année '89, 2 000 victimes dans les combats armés de '91, 12 000 dans le nord en '96, etc. ! L'intervention des forces indiennes en 1987 sera un fiasco total, qui se prolongera par l'assassinat de Rajiv Gandhi en '91, après le piteux retrait des troupes de son pays. Offensives et contre-offensives se succèdent, le terrain est pris, perdu et repris par les uns puis les autres. Les attentats sont constants, touchant simples civils ou responsables politiques comme l'actuelle présidente, Chandrika Badaranaike Kumaratunga rendue borgne par une explosion fin 1999.

     Même si la paix vient effectivement à être signée, ce qui suppose des deux côtés que ceux qui ont intérêt à voir se poursuivre la guerre acceptent de renoncer à leurs situations personnelles avantageuses, les esprits parviendront-ils à oublier tant de soifs de vengeance accumulées. Comparons avec le conflit israëlo-palestinien, pour lequel des traités furent conclus également. Il y a tellement de choses sales, tellement de boues qui ont été remuées en vingt ans ! Des religieux bouddhistes en ont appelé au sang, des trafiquants de drogue et d'armes ont odieusement bâti leur richesse sur la mort d'innocents, des trafiquants d'êtres humains ont acheté et vendu leurs propres frères aux exploiteurs du travail au noir dans les pays occidentaux, les lobbies de l'armement et les généraux en mal de gloriole et d'argent sont arrivés à leurs fins au prix d'atrocités... Nul responsable ne ressort propre de tout cela !

     L'espoir est apparu en 2002. Le nouveau premier ministre, Ranil Wickremesinghe, a su tendre la main et prêter l'oreille aux propositions du médiateur norvégien, les responsables tamouls, notamment   Anton Balasingham ont tendu la main à leur tour, et chacun semble entrer sur la voie des concessions. "Peut-être la paix n'est-elle donc plus un rêve fou" pouvaient se dire des millions de Sri Lankais épuisés... qui ne trouveraient sans doute le repos que si une amnésie collective et bienfaisante venait laver les mémoires !

     Hélas ! La fin 2005 et surtout l'année 2006, un tsunami et un changement de majorité étant passés par là, ont vu le conflit reprendre, les horreurs recommencer : membres d'une ONG massacrés, soixante jeunes filles - d'un orphelinat disent les uns, d'un camp d'entraînement disent les autres - tuées dans un bombardement aérien, attentats, boat people en partance vers le Tamil Nadu, blocus et crise humanitaire... des mots, des réalités que l'on aurait voulu rayer des unes et des colonnes de l'actualité, mais qui s'y imposent de force !

 

  

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