Interview
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IR : Kathleen Scarboro,
pouvez-vous commencer par vous présenter à nos visiteurs ?
KS : Je
suis artiste peintre, sculpteur, mosaïste et muraliste, née à Chicago en
1950. Dans mes peintures d'atelier, je me suis beaucoup intéressée à
l'Inde et la Réunion.
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IR : Votre créativité dans le
domaine des arts plastiques embrasse donc des formes et des supports
variés : pouvez-vous nous en dire davantage ?
KS : J'ai vécu de commandes d'art
public, ou d'art pour les collectivités (théâtre, télévision). Ce
sont les commandes qui m'ont fait explorer des techniques diverses, en
réponse à une demande qui évoluait. Ce sont par exemple, les clients qui
m'ont demandé de devenir sculpteur.
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IR : Comment vous êtes-vous
formée à ces diverses techniques et formes d'expression ?
KS : J'ai
fait deux écoles supérieures d'art : L'Université du sud d'Illinois
(SIU) aux États-Unis, puis l'École des Beaux Arts de Paris. Après, j'ai
travaillé en équipe et je me suis formée "sur le tas".
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IR : Vous reconnaissez-vous des
modèles ? Quels sont les artistes que vous admirez le plus ?
KS : J'ai eu une chance inouïe : j'ai
rencontré mon maître de peinture à vingt ans, dans mon université aux
États-Unis. C'était un peintre et professeur extraordinaire qui
s'appelait Patrick Betaudier, d'origine Trinidadienne. Il est décédé
l'année dernière et je me vois comme une des personnes qui continuent
ses idées et sa technique.
Sinon, j'aime énormément la peinture de la Renaissance et de la
période baroque (le Titien, Bellini, le Caravage ). Parmi les
mouvements plus modernes, j'apprécie les nabis (Bonnard, Vuillard,)
les impressionnistes, et Gustav Klimt.
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IR
: Personnages, mouvements et couleurs vives semblent être à la base de
vos tableaux, leur donnant dynamisme et vie : est-ce effectivement ce
que vous cherchez à exprimer, créer ou recréer ?
KS : Sans vouloir parler de façon obscure, je
cours après un but qui s'éloigne. Le message, en peinture, vient souvent
avant la compréhension, même pour l'artiste lui- même. Je favorise une
dynamique qui s'exprime à travers moi, puis, comme le spectateur,
j'intellectualise. Parfois le spectateur analyse mieux que moi le sens de
l'oeuvre. En tout cas, je peux dire que je peins la vie. Les gens, la simple
beauté du quotidien, les liens entre tout ce qui participe au vivant. Le
mystère au fond de notre existence.
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IR
: Vous qualifiez vous-même votre
orientation artistique comme celle du "réalisme magique" : que faut-il
comprendre à travers cette expression ? Que la magie, pour vous, fait
bel et bien partie du réel ? Et dans quel sens faut-il prendre la notion
de magie ?
KS :
La vie est magie, mais nous
l'oublions souvent. Elle nous paraît répétitive, ordinaire, alors que
c'est très étonnant, ce monde complexe. Je ne veux pas oublier le
mystère au centre de chaque être vivant. J'aimerais redécouvrir la vie
chaque matin. C'est ce que font les petits enfants, et c'est pourquoi ils sont
si attirants. L'idéal serait de combiner la fraîcheur de l'enfant avec
le pouvoir d'action de l'adulte.
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IR
: Pouvez-vous nous expliquer en quoi vos
lieux d'inspiration que sont l'Inde et la Réunion correspondent
justement à cette esthétique - et peut-être aussi cette "philosophie" -
du réalisme magique ?
KS : Souvent, on peut avoir un regard
plus frais sur un univers nouveau que sur celui dont on est issu. J'aime
explorer les différentes conceptions et fonctionnements intérieurs des
êtres humains. Essayer de comprendre comment ils se sentent, se voient.
Les Réunionnais et les Indiens me paraissent plus proches de leurs
sentiments, plus spontanés, peut-être moins programmés que les Européens
et Américains des États-unis. J'aime leur façon d'intégrer la couleur,
le son, la danse dans leur quotidien. Le réalisme magique est un terme qui me plaît par sa contradiction. Une
définition : l’appellation réalisme magique est utilisée depuis 1925 dans la critique
littéraire et la critique d’art pour rendre compte de productions dans
lesquelles des éléments perçus ou décrétés comme « magiques » surgissent
dans un environnement par ailleurs réaliste.
Le terme décrit à la fois un mouvement en peinture et en
littérature. Il a
souvent été utilisé pour décrire certains peintres surréalistes (de
Chirico, Carra, Miro).
Je l'emploie à ma façon. Dans mes peintures, c'est plutôt la relation entre
les éléments qui se traversent les uns et les autres en transparence, qui
crée un univers inhabituel. Le réalisme magique résulte de la composition. A
vrai dire, l'être humain est par sa nature une créature réaliste magique et
je décris son univers intérieur et extérieur. Ou comment son monde
intérieur donne naissance à son monde extérieur.
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IR
: Comment, sur le plan technique, travaillez-vous en tant que peintre :
d'après photographie, sur le terrain... ?
KS :
Le terrain d'abord. Le rencontre avec les gens, leur monde. D'abord le terrain, parce qu'il
faut vivre quelque chose pour le peindre.
Le document photographique est une invention formidable. Elle est
imprimée avec des fragments de vie.
Je compose avec ces fragments et des
éléments purement picturaux (coups de pinceaux, divisions de surfaces, toute
la panoplie du peintre).
J'emploie une technique qui date de
la Renaissance flamande (XVème - XVIIème siècles). Création d'abord du
tableau en grisaille avec blanc d'argent et terre d'ombre ou d'autres
pigments, suivi de glacis à l'huile. Grand travail des blancs pour créer
des gris optiques qui donnent la luminosité au glacis.
Un tableau de taille moyenne prend deux
ou trois mois d'exécution.
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IR
: Dans certaines toiles telles que Homme endormi ou votre
Fillette aux melons, vous avez recours à des motifs graphiques
décoratifs d'inspiration traditionnelle : simple recherche esthétique,
ou bien faut-il y voir autre chose ?
KS : Les motifs aident à définir l'univers en
question. L'Inde, les indiens, s'expriment de façon créative en dessinant
sur tous les supports imaginables (camions, textiles, chameaux, sols, murs,
peau...) C'est pourquoi ils sont aussi dans mes tableaux.
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IR
: Vos sculptures, vos mosaïques... obéissent-elles aux mêmes
orientations esthétiques et se nourrissent-elles des mêmes inspirations
que vos peintures ?
KS : Mes oeuvres d'art public répondent à une
demande précise, qui détermine beaucoup d'aspects de mon approche du sujet.
L'enjeu, c'est de trouver le pont entre moi-même, artiste, et le demandeur
qui est généralement un groupe de personnes qui soutient certaines idées.
J'estime que l'oeuvre est un succès quand nous sommes tous les deux
satisfaits. Je suis contente de ce travail avec le public parce que je
découvre beaucoup de nouvelles idées et techniques. C'est enrichissant
d'avoir l'opportunité de faire des choses que je n'aurais pas faites
autrement. En sculpture, le travail avec le modèle vivant est incontournable.
Regarder un corps et le rendre en sculpture est extrêmement difficile,
mais si fascinant.
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IR
: Quelle est l'oeuvre artistique idéale que vous rêveriez de réaliser
?
KS : Je continue à poursuivre le rêve de
l'oeuvre idéale, sur laquelle je travaille tous les jours. Idéalement, je
prendrais le temps pour travailler un grand tableau (2m x 1,5m) qui est
actuellement dans mon atelier. Comme j'ai sans arrêt de nouvelles envies,
j'ai du mal à trouver les deux ans qu'il me faudrait pour réaliser ce tableau.
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IR
: De manière peut-être plus terre-à-terre,
quels sont vos projets en tant qu'artiste ?
KS : J'irai aux États-Unis en janvier
2010 pour faire de la sculpture et donner un cours de peinture à
l'huile. Je peindrai toujours, car c'est ma façon de participer à
l'évolution du monde et je m'ennuie quand je m'arrête...
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