O
PREMIÈRE PARTIE
De l'Inde à la Réunion

                        

          2. L'hindouisme populaire

 2.2. L’hindouisme populaire au quotidien à La Réunion

  2.2.2. Mauvais esprits et mauvais oeil

     Dans son ouvrage global sur la culture indienne à La Réunion, Christian GHASARIAN (1991) porta une attention particulière aux forces négatives en action dans l’environnement quotidien des malbars. Mauvais esprits, démons, signes annonciateurs de malheur ou encore regard de l’autre sont les vecteurs du mauvais sort qui peut constamment survenir du monde extérieur.
     Les mauvais esprits sont des âmes qui, contrairement à celles des ancêtres familiaux à qui on voue un culte et on offre de la nourriture, sont condamnées à se nourrir par leurs propres moyens. Les démons, eux, sont des force d’origine divine se déplaçant dans les lieux « non-ordonnés » (C. GHASARIAN 1991, 52) de l’espace comme les lieux isolés, les zones difficilement franchissables (ravines, terrains peu praticable, etc.), les zones-limites (clôtures, frontières, etc.). Ces forces négatives sont désignées chez les malbars par le terme « bébèts » (désignation créole d’ailleurs employée par l’ensemble de la population réunionnaise pour qualifier les manifestations surnaturelles).
     La présence toujours latente de ces forces négatives dans l’environnement explique une part de l’opposition si importante chez les malbars entre le dehors et le dedans : opérant à l’extérieur, elles sont associées aux notions d’impureté, de désordre et d’imprévisibilité alors que le foyer familial est exactement l’inverse. Responsables des désordres dans le monde social, les démons doivent être contrôlés ou du moins « apaisés » pour rendre l’espace extérieur praticable et relativement sécurisé. L’intervention rituelle d’un pusari (terme tamoul pour désigner un officiant rituel dans l’hindouisme populaire) peut s’avérer nécessaire pour éviter que l’âme de quelqu’un ne soit attaquée.
     Les forces négatives, qui cherchent à nuire aux humains et à aller à l’encontre de leurs désirs, peuvent également être stimulées à travers la jalousie que provoque la vue de « belles choses ». En effet, un esprit malfaisant peut atteindre une personne par le biais du regard envieux (ou simplement « constatateur ») qu’une personne lui porte. Dans le milieu malbar, le regard de l’autre (jaloux ou non) considéré comme malveillant est ainsi une source potentielle de nuisance dont il faut se protéger.
     « Le mauvais oeil, qui porte la malchance, n’est pas forcément le fait d’une personne envieuse et malveillante : il peut être porté en toute inconscience. La trop grande admiration a aussi le même effet qui consiste à mettre en branle des forces négatives prêtes à nuire aux humains. Elle est censée indiquer le désir, même inconscient, de l’admirateur de posséder ce qui plaît à ses yeux. On s’en méfie donc toujours » (C. GHASARIAN 1991, 55)
     Il en résulte une attention particulière portée au quotidien sur ce que l’on donne à voir afin de ne pas s’attirer de malchance, mais également sur ses propres sentiments (on évite par exemple de manifester sa joie trop visiblement, ce qui explique une attitude humble la plupart du temps). On évite par la même occasion de porter le mauvais oeil sur l’autre en évitant les regards soutenus, les compliments, etc.
     Le mauvais oeil et les esprits néfastes agissent donc continuellement dans l’espace extérieur au domicile familial, ce qui a pour effet de renforcer cette opposition entre le « dedans » qu’il faut maintenir à l’abri et le « dehors » dont il faut se méfier en permanence.

Haut de page


Accès au sommaire du mémoire


Retour à la page précédente

    

SOMMAIRE du SITE