Padmâvatî

Acte 2

Scène 1 - scène 2 - scène 3

                     

L’intérieur du Temple de Siva, dans l'ombre.
Au fond, la statue colossale du dieu.
Dans le socle, l'accès d'une crypte.
Portes à gauche et à droite, et au fond.
En avant, à gauche, une dalle ensanglantée.
En avant, à droite, un siège de marbre blanc.


PRÉLUDE

Scène 1
Padmâvatî, puis les prêtres.
Padmâvatî est appuyée à un piller,  dans une attitude suppliante.
Les Prêtres sont dans la crypte.


Les prêtres
Om ! Siva, terreur des hommes et des dieux !
Om ! Siva, au corps de flamme, aux yeux de cendre !

Padmâvatî
Siva, laisse ma voix se joindre
à ces voix souterraines.
Nos guerriers sont tombés
comme la moisson que le fer tranche.
Nous avons quitté le palais clair
pour le refuge de ce temple funèbre,
Avec les débris de l'armée Ratan-Sen
tente un dernier effort.
J'écoute au loin la rumeur du combat.
Est-ce délivrance ou désastre ?
(Padmâvatî se dissimule,
les Prêtres sortent de la crypte en cortège.)


Les prêtres
Siva, chasseur des existences, pourvoyeur de la mort !
Om ! Siva, nous avons dressé le bûcher sous tes pieds,
abaisse tes regards et que jaillisse le Feu !
(Ils tournent autour de la dalle de gauche,
puis du siège de droite, puis se prosternent devant la crypte. )


Les prêtres
Sur la pierre sanglante, la Mort.
Sur la pierre brillante, la Vie.
Dans la nuit  flamboyante,
la Vie conduite par la Mort !

Padmâvatî
(se rapprochant)
Que dites-vous ? Répondez !  c'est votre reine.
(Les Prêtres sortent par le côté gauche,
sans répondre. Seul, le dernier d'entre eux se détache.)


Un prêtre
Nous avons vu sourire dans l'ombre la face terrible.
Nous avons consulté les filles de Siva,
les blanches, puis les noires.
Elles ont promis, tour à tour,
pour l'aurore, un sacrifice souverain.

Padmâvatî
Quel sacrifice ?
(librement)
Est-ce moi qui dois m'offrir ?
(Tirant à demi un poignard de sa ceinture.)
Vois, l'arme est prête.

Un prêtre
Il y aura plus d'une victime.
(Il sort.)

Padmâvatî
Plus d'une victime !
Le silence est noir comme la tombe.
(Elle remet lentement le poignard au fourreau.)

Scène 2
Padmâvatî, Ratan-Sen.

Ratan-Sen
(appelant)
Padmâvatî !
(I1 entre, il est ensanglanté.)

Padmâvatî
Vous ! Seigneur ! Blessé ?

Ratan-Sen
La dernière enceinte est tombée.

Padmâvatî
Ma prière fut vaine !

Ratan-Sen
Une trêve est accordée jusqu'à l'aurore.

Padmâvatî
L'aurore !

Ratan-Sen
Le sultan a fixé ce délai.
Il vengera sur la cité entière le refus de son désir.

Padmâvatî
Ce sont nos derniers instants sur cette terre.
(avec émotion)
O visage qui fit mon bonheur !
(Elle le contemple.)

Ratan-Sen
Padmâvatî !

Padmâvatî
Douceur d'entendre cette voix encore !

Ratan-Sen
Padmâvatî ! La cité va périr.

Padmâvatî
Nous mourrons avec elle !

Ratan-Sen
Par notre faute !

Padmâvatî
Par la volonté de Siva ! Vous avez fait votre devoir.

Ratan-Sen
Notre devoir est plus terrible.

Padmâvatî
Retournez au combat pour une mort glorieuse.

Ratan-Sen
Ce n'est pas la mort que je redoute.

Padmâvatî
Je jure de monter avec vous sur le bûcher.

Ratan-Sen
Padmâvatî, du haut des terrasses,
n'avez-vous pas entendu les cris des blessés,
les râles des mourants ?
N'avez-vous pas vu le ciel
s'ensanglanter des rougeurs d'incendie ?

Padmâvatî
Je saurai mourir.

Ratan-Sen
Non ! Il faut vivre.

Padmâvatî
(presque à voix basse dans un sentiment d'effroi)
Vous voulez me livrer !

Ratan-Sen
(avec insistance)
Padmâvatî ! Songez aux mères
qui verront leurs enfants égorgés !
Songez aux femmes que leurs maris
ne défendront plus.
Songez aux jeunes filles dont le chant de noces
sera la clameur d'agonie !

Padmâvatî
(avec indignation)
Me livrer vivante ! Moi ! votre épouse !
O mon maître !
Vous pouvez torturer ma chair par le fer ou par le feu,
Vous pouvez priver de la lumière ces yeux
où tant de fois vous avez lu mon amour.
Mais vous ne pouvez pas faire
que ces yeux supportent le regard d'un autre époux,
Que cette chair subisse l'outrage des baisers du vainqueur.

Ratan-Sen
L'aurore maudite est sur nous !

Padmâvatî
Quand j'ai quitté Singhal et traversé la mer,
votre peuple me reçut avec joie,
Et j'ai vécu heureuse en vos palais.
L'étreinte de mes bras n'a-t-elle
pas scellé notre union éternelle ?
Et quand sur mon sein vous reposiez votre tête lasse,
ô mon maître, avez-vous pu douter que le même soir funèbre
nous verrait entrer tous deux dans le néant divin ?

Ratan-Sen
Padmâvatî, le soleil va bientôt reparaître
et l'horreur du massacre se lever avec lui !
J'ai promis à Siva de sauver mon peuple.

Padmâvatî
Sacrilège !
Par devant le feu pur du foyer,
vous avez posé votre main sur mon cœur
et tracé sur mon front l'emblème de la possession.
Celui qui brise un tel lien renaîtra bête immonde !

Ratan-Sen
Je prends sur moi l'expiation !

Padmâvatî
Je ne veux pas que votre âme se charge d'un tel crime.

Ratan-Sen
(lui prenant la main)
Vous me devez obéissance !

Padmâvatî
(elle tire son poignard)
Plutôt vous voir mort que coupable !

Ratan-Sen
Venez !

Padmâvatî
Protège-nous, Siva !
(Elle frappe de son arme Ratan-Sen qui chancelle.)

Ratan-Sen
Ah ! Qu'avez-vous fait ?
(I1 tombe.)
Où êtes-vous ?

Padmâvatî
(à genoux près de lui)
Je ne vous quitte pas. La mort va nous unir.
(Il meurt. Elle se relève et court à la porte
de gauche, puis à celle de droite.)

A moi, prêtres,
Les deux victimes vous attendant.
Accourez, mes soeurs, pour la parure dernière.

Scène 3

Padmâvatî, les prêtres, les femmes du palais,
puis les Six Messagères de Siva, évoquées par les prêtres
Les prêtres entrent par la porte de gauche,
portent des torches qu'ils élèvent devant Padmâvatî.
Elle incline la tête en silence.
Puis, par la porte de droite, les femmes, voilées et tremblantes.
Les prêtres portent le corps de Ratan-Sen vers la gauche.
Les femmes s'empressent autour de Padmâvatî assise à droite.


Padmâvatî
O mes soeurs fidèles,
Ne pleurez pas sur moi,
Rien ne m'est plus au monde.
Mes yeux verront briller, sans crainte,
à l'heure suprême, l'ardent regard de Kali.
(Deux par deux les femmes lui remettent le peigne,
le miroir, le collier et le voile de noces.)

Peigne qui tombas le premier soir,
miroir qui unis nos images,
Perles dont j'interrogeais la fuite caressante,
voile où ma tendresse prit courage.
Le soleil est mort.
Seule dans la nuit obscure,
j'écoute la voix confuse des étoiles.
Mon âme m'abandonne.
(Les prêtres, ayant achevé la toilette funèbre,
s'alignent au fond et commencent les incantations.
Les femmes restent autour de Padmâvatî.)


Les prêtres
Sur la pierre sanglante, la mort !
Les filles blanches de Siva, Prithivi ! Parvati !
Ouma ! Gaouri ! Vous que le meurtre rassasie,
Cherchez votre victime.

PANTOMIME

Ils allument un feu dans un brasero au milieu de la scène,
et jettent sur la flamme une poudre
qui dégage une abondante fumée.
Quand la fumée se dissipe, on voit paraître,
se détachant du mur, quatre figures blanches,
sortes de vampires qui s'avancent, rôdant flairant le sang.
Elles découvrent le cadavre
et en sont écartées par les prêtres.
Les deux premières s'approchent davantage
et tournent autour des prêtres, Repoussées,
elles vont tomber dans le recoin à gauche.
Les deux autres les imitent. Padmâvatî
et les femmes détournent leurs regards.


Les prêtres
Sur la pierre brillante, la vie !
Les filles noires de Siva ! Kali, qui blesse de désir,
Dourga, serpent de la douceur perfide !
Tentez l'épreuve !

DANSE ET PANTOMIME

Les prêtres jettent de nouveau la poudre sur la flamme.
Quand la fumée se dissipe, Kali s'est élancée de la crypte,
agile, tenant un trident.
Dourga s'avance, souple, donnant l'illusion du serpent. Kali
entoure de gestes avides la danse onduleuse de Dourga.
Dourga feint de chercher un refuge auprès des femmes.
Toutes la repoussent Une se laisse fléchir.
Dourga, glissant à ses pieds, l'enveloppe de ses bras
et la livre au trident de Kali. La femme s'abat, terrifiée.
Les autres femmes se dispersent, poursuivies par Kali.
Elles tombent et jonchent le sol.
Alors, Kali et Dourga tournent autour de Padmâvatî
en cercles de plus en plus serrés.
Padmâvatî se lève, sur la défensive.
Dourga veut envelopper les flancs de Padmâvatî,
pendant que Kali s'approche.
Mais Padmâvatî, avec un frisson d'horreur bondit de côté,
les mains étendues en signe de conjuration.
Kali et Dourga sont précipitées l'une sur l'autre
et vont s'abattre dans le recoin à droite.


Les prêtres
Dans la nuit flamboyante, la vie conduite par la Mort !
Filles blanches, Filles noires, douces, divines, apaisées,
Répandez les fleurs des noces éternelles.
Om bhour ! Om bhouvah ! On svah !
Om mahah ! Om djanah ! Om toupas ! Om satyram !

CÉRÉMONIE FUNÈBRE

Les quatre filles blanches et les deux filles noires reparaissent,
transfigurées en Apsâras.
Elles s'avancent portent des guirlandes
et vont d'abord au corps du roi, puis à Padmâvatî.
L'un et l'autre sont parés de fleurs.
Padmâvatî est conduite par elles auprès de Ratan-Sen.
Elle place la main sur son cœur
et de l'autre main fait un signe sur son front
Les rites des noces funèbres s'accomplissent
autour du feu qui brûle toujours.
Cependant, au dehors, on entend des cris.


Les guerriers
(au dehors)
Indraya ! Indraya namah !

Les prêtres
L'aurore s'est montrée.
Le carnage approche Délivrance ! Délivrance !
(Le cortège se forme.
Les prêtres d'abord, pontant le brasero allumé,
disparaissent dans la crypte en chantant.
La crypte s'éclaire de lueurs rouges,
Les prêtres qui portent le corps du roi y entrent à leur tour.)


Les prêtres
Siva ! Quand paraît ton éclat,
Le jour se change en nuit, les apparences s'évaporent !
l'amour rentre dans le néant.

(Padmâvatî vient ensuite, conduite par les Apsâras.
Le bûcher flamboie dans la crypte. A l'instant d'entrer,
Padmâvatî a un mouvement d'effroi.
Les Apsâras la soulèvent et la portent doucement.
La porte du fond cède.
Le sultan Alaouddin paraît vainqueur dans l'aube pâle.
Les femmes jusque là prosternées à terre,
se relèvent, cherchant à fuir.
Alaouddin, arrêtant d'un geste ses soldats sur le seuil du temple,
regarde, immobile, la fumée qui monte de la crypte.
Le rideau tombe lentement.)


F I N
 

                                                

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