Pondichéry,
souvenirs et réflexions
- entretien avec S. Madanacalliany -

                     

Indes réunionnaises : Mme Madanacalliany, pourriez-vous pour commencer vous présenter aux visiteurs du site Indes réunionnaises ?

Shanmuganandan Madanacalliany : MADANACALLIANY, fille de KICHENASSAMY et de RAJAMBAL, je suis d’une génération précédente car je suis née en 1938. Tout d’abord,  je voudrais bien parler de mes parents, rapidement. C’est un couple uni par le mariage des enfants. Ma mère, fille d’une institutrice et d’un père qui était l’ami de politicien Sinnaya Mudaliyar de la famille du Zamintar pondichérien, n’avait que dix ans (en 1912) lors de son mariage. Mon père avait douze ans, il était le fils d’un cultivateur et d’une mère née à l’île Maurice, laquelle est rentrée à Pondichéry après la mort de ses parents… Quoiqu’il y ait un sujet pour faire un roman, je ne vais pas m’attarder ici... 

   Ma mère me disait : « On n’a pas le droit d’être présenté à celui qui sera l’époux. Ma "belle-sœur" qui m’a amenée au teorukkouttou, (théâtre folklorique joué en plein air devant un public assis par terre), m’a fait asseoir sur ses genoux  et m’a soulevée pour montrer mon futur mari qui, déguisé en Krishna, était bariolé en bleu, la couleur de Krishna...)
  
Nous jouions la bille dans la rue et dans le jardin. Je lui ai fait couper les cheveux pour qu’il soit à la mode… Mes parents lui ont acheté une bicyclette.
   C’est moi qui lui ai appris à conduire la bicyclette.
   Ce sera sa monture jusqu’à la fin de sa vie. La dernière fois que je l’ai vu du balcon du bâtiment de la police, c’est quand il a dit au revoir avant de monter sur sa voiture. Son grade était maréchal des logis chef, en fait le grade indien était Inspector of police. Les français avaient construit un appartement  pour la famille du chef.
   Il est décédé en 1958.
   J’étais l’aînée mais pas la première. Mon frère aîné était décédé à six ans. Ma mère était presque folle. Après cinq ans, je suis née. Ainsi, j’ai été enfant gâté et pourri.
  
Un jour, à la police de Calapeth, on avait apporté un panier de lotus roses destiné au poudja du Dieu Manakkoula Vinâyagar (Ganesh) dont le temple était au centre ville. Tu avais trois ans. Tu m’as demandé de mettre toutes ces fleurs sur ton chignon. Personne n’a pu te convaincre que c’était impossible. Tu hurlais, tu roulais… Tous les agents de police ne faisaient que te regarder sans savoir résoudre le problème. Comme c’était un tout petit village, les gens étaient assemblés…Nous étions tous inquiets devant cette situation. Il y avait même le médecin du village. 
   - Lève-toi ! je vais fixer toutes les fleurs sur ta natte ! dis -je.
   On apporte le peigne, le fil et l’aiguille. Tu t’assieds par terre et moi, derrière toi. (Elle fait un signe , tout le monde disparaît).
   - Baisse ta tête. Ne bouge pas. Ne tourne pas la tête par ci par là.
   Après un moment,  : - Voilà ! c’est fait. On a mis toutes les fleurs.
   Tu regardes d’abord le panier. Il était vide. Puis, tu regardes ta petite tresse où un pétale de lotus était fixé en festons au milieu de ta natte terminée par un nœud de ruban aussi gros que ta tête. Un grand sourire comme un éclair apparaît et disparaît. Les larmes sèches sur ton visage rose avaient tracé des rigoles et le reniflement seul continuait. Nous avons oublié tout le drame de tes caprices devant les petits pieds qui couraient vers la plantation des arbres cajous, tenant le jupon dans les mains. Un agent de police te suivait car tu en avais toujours un comme un ange gardien, quand, nous, on ne pouvait pas te suivre.
»

   Ce village où mon père est resté, chef de la brigade de gendarmerie, pendant quelques années, au cours de son service, m’est resté dans le cœur. Village non pollué.
   Je le présente de l’est à l’ouest : la mer bleue de saphir comme celle de la Réunion, bordant le sol rubis, quelques huttes des pêcheurs au toit recouvert de feuilles des palmiers – paNai maram – près du littoral,  une rue qui, actuellement, est la suite de la route côtière orientale, la police, avec quelques maisons en briques, très dispersées et isolées, puis une plantation d’arbres cajous du vert émeraude qu’on appelle vert de perruche en tamij... Je montais sur une des branches très basses, et à califourchon, habillée d'un jupon, et … Enfin, c’est un village qui m’a fait poète. Il y avait beaucoup de villages tout autour de Pondichéry,  avec des rizières vêtues de verts de toutes sortes depuis la semence jusqu’à la moisson, des banians , des manguiers…
   C’est là que j’ai été scolarisée à trois ans et demi au CP dans une école indigène, car il n’y avait pas de maternelle. L’âge de la scolarisation était de cinq ans. Le directeur d’école n’a pas pu me refuser vu que mon père était une personnalité dans ce village… J’ai atteint le cours supérieur à huit ans et demi, promue sans redoublement. J’étais obligée d’attendre l’âge de dix ans pour passer le certificat d’études primaires de langue indigène, même alors avec dispense d’âge autorisée par l’Instruction publique. De cette partie de ma scolarité, je  me souviens de peu de choses.
   Quelques souvenirs  me sont restés tout de même :

   ... Après la naissance de mes deux frères, je n’étais pas si gâtée, car ma mère avait une grande affection envers les garçons, ce fut la conséquence de la perte de son fils aîné. Ce deuil, elle l’a gardé jusqu'à la perte de mon père. Par contre, elle m’a appris à les aimer sans que la jalousie me tourmente :  surtout dans leurs études. On avait un écart de quatre ans. 
   ... De mes instituteurs, je ne rappelle presque rien. Seul le directeur de l’école de Calapeth est resté dans mes souvenirs car il avait des yeux exorbités, une grosse verrue sur une joue. Il portait une veste sur le costume indien.
   ... «  Pourquoi n’as-tu pas appris ta leçon ? demanda l’instituteur à un élève.
   - Monsieur, mon frère n’a pas voulu prêter le livre. On n’a qu’un livre pour nous deux. Papa  a dit de se débrouiller ! répondit le frère interrogé.
   - Ah ! c’est comme ça ! Pour manger seulement, votre père a acheté à chacun une assiette pour le repas de midi ! 
»
   Le gouvernement offrait le déjeuner aux enfants pauvres. Cela m’a beaucoup impressionnée. Donc, il y a une faim intellectuelle. J’ai commencé depuis à devenir une élève très studieuse.
   ... Comme j’étais très jeune dans chaque classe, le programme me dépassait. Pourtant, les deux premiers vers d’un poème de quatre vers d’un poète sivaïte qu’on appelait  Sittar, m’est resté gravé :
          « Quand on naît, on n’apporte rien.
             Quand on meurt, on n’emporte rien.
            Pourquoi entre temps...
»  - Pattinattar.

   Après mon certificat, il fallait me chercher une autre école. Le gouvernement français avait ouvert des écoles primaires mixtes dans presque tous les villages, où l’on enseignait toutes les matières en tamij et en français. Le seul problème, on ne savait pas parler couramment le français. L’enseignement secondaire était possible dans le centre ville seulement, et  il y avait trois écoles, et un collège, c’est-à-dire le lycée qui englobait toutes les catégories d’écoles. A cette époque, le certificat était déjà une aubaine pour les enfants, et les filles n’étaient pas autorisées à continuer les études secondaires pour la raison suivante :
   Un jour, mon père demanda à son ami :
  « Indique-moi une bonne école pour ma fille !
   - Elle a déjà le certificat. Pourquoi de l’éducation pour une fille qui va attiser le feu du foyer chez son mari. Regarde, j’ai déjà marié ma fille. Ce sont des dépenses vaines !
   - Je t’ai demandé seulement de me dire le nom d’une bonne école. 
»
   Et j’ai été admise à l’école Saint Joseph de Cluny, dirigée par les religieuses françaises... J’avais des camarades de la bourgeoisie indienne, des administrateurs français, de très hauts fonctionnaires, cossus, et quelques orphelins  adoptés par la mission Cluny. J’étais bonne élève et mathématicienne. Je dominais la langue tamij... J’étais aimée de mes enseignantes. Une chose à noter : j’étais en robe et je venais à l’école en vélo, suivie de deux gardes, les agents de police. J’ai gardé un bon souvenir de cette école. C’est là que j’ai été très libre : libre d’exprimer mes opinions, de jouer ; et la participation aux activités culturelles m’était une grande joie.
   J’ai été admise à l’examen d’entrée en seconde où ma matière de prédilection était les math. La première partie du bac était la série math. La deuxième partie était la série philosophie, c’était le choix de mon père qui désirait que je devienne médecin. C’était une profession qui n’était pas conseillée aux filles à l’époque. L’enseignement et la bureaucratie étaient permis par les parents.

   Mon père est décédé un mois avant le bac. Étant l’aînée de la famille de cinq enfants mineurs, adieu l’école médecine ! Et ma mère s’y oppose, car d’un jour à l’autre je devais être mariée et la médecine est une étude qui revient cher. J’ai été appelée au collège français par M. Adicéom Emmanuel, alors proviseur, et mon ancien professeur d’histoire et géographie ; et son épouse était mon professeur de la langue française. Pendant mes études, j’ai été candidate libre à beaucoup d’examens. J’avais des diplômes en tamij, anglais... J’ai été nommée enseignante chargée de toutes ces matières et en plus les math.

   Un jour, j’avais donné un devoir supplémentaire à un élève, obstiné à négliger  le tamij. Il me rapporta le papier de sanction où le père, M. Mariannie, (comme il n’est plus de ce monde, je me permets de citer son nom), avait écrit sous sa signature ce qui suit : « Mon fils n’est pas indispensable pour la langue tamoule. »… J’ai été vraiment sidérée.
   Ce fut cet outrage à la langue maternelle qui décida mon avenir : l’enseignement du tamij est devenu pour moi une vocation plutôt qu’une profession,  et cette phrase que j’ai voulu traduire en tamij exact m’a fait une traductrice en deux langues : tamij et français, sans oublier l’anglais. J’ai continué à préparer en candidate isolée d’autres examens des universités indiennes. Ces études m’ont enseigné la prosodie, je suis devenue également poète en ces langues et me suis spécialisée dans l’Étude comparée.
   Mon professeur de français, qui avait appris le sanskrit, participait aux travaux de l’Institut Français et de l’École Française d’Extrême-Orient. J’ai été présentée à beaucoupd’autres personnalités avec lesquelles on travaillait en équipe. C’est ainsi que je suis devenue folkloriste en deux langues. J’étais la première à organiser des activités culturelles en tamij, en français et en anglais au Lycée Français, comme les pièces de théâtre, les danses folkloriques... qui ont été représentées en diverses occasions dans des États de l’Inde, (à Delhi...). Du fait que j’ai eu plusieurs stages de formation pédagogique, entre autre le stage Crédif en France, j’ai pu réorganiser l’enseignement du tamij. A travers un journal tamij, Malai malar, j’ai enseigné le français avec le titre Apprenons le français, en quatre-vingt-six cours.

   Ma vocation continue par des publications de livres, d'articles, etc., et des activités sociales.


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