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   Lorsque les enfants doivent sortir de la maison (notamment pour aller à l'école où ils côtoient d'autres enfants véhiculant des modèles culturels différents des leurs), ils commencent à réaliser que la façon dont ils ont été élevés n'est pas la seule et unique façon possible. Rappelons que, dans la société réunionnaise, les personnes d'origine tamoule sont confrontées aux valeurs dominantes de la société occidentale. Cette situation implique de nombreuses contradictions qui ne sont pas toujours facilement résolues. Une des contradictions les plus importantes résulte de la rencontre inévitable entre les conceptions indiennes et le système éducatif de la société globale. Pour exemple une bonne éducation débouchant sur des diplômes augmente l'honneur de la famille. Cependant, à La Réunion, plus un enfant d'origine indienne réussit dans ses études, plus il se démarque de sa première socialisation acquise dans le milieu familial. Les diplômes obtenus à l'école et, éventuellement, plus tard à l'université sont associés au système de valeurs du monde occidental qui ne valorise pas particulièrement les notions de dépendance, de sacrifice de soi, d'honneur familial, de destin, etc. Les conceptions tamoules ne s'accordent pas toujours aux réalités diffusées dans les écoles françaises et certaines adaptations sont nécessaires. Etant donné la disposition intériorisée à séparer les choses, les personnes d'origine tamoule gèrent généralement ces contradictions en développant une conscience de contexte. La mise en place d'un double univers de réalité leur permet d'agir de façon sélective en fonction des normes de la situation sociale dans laquelle ils sont impliqués.

   Pour terminer, je voudrais mentionner le très récent changement idéologique auquel les originaires de l'Inde font désormais face dans l'île. On a vu que dès leur arrivée à La Réunion, les immigrants et leurs descendants ont du adopter une autre façon de s'habiller, une autre religion et un autre langage. Toutefois, ces impositions externes n'ont pas réussi à éradiquer les principaux modèles de comportements tamouls. L'idéologie moderne favorise l'expression des particularités et les identités spécifiques dans l'île font désormais l'objet d'une fierté affichée. Par une étrange ironie de l'histoire, les différences que les Tamouls ont longtemps évité d'exprimer trop ouvertement sont de plus en plus valorisées dans la société globale. La religion hindoue, longtemps dénigrée par ceux qui ne la pratiquaient pas, est actuellement reconnue et estimée comme une des richesses de La Réunion. Sans plus aucune culpabilité, les vêtements indiens, comme les saris, sont peu à peu réintroduits parmi la population tamoule dans l'île et sont maintenant fièrement portés par les jeunes lorsqu'ils vont au temple. Les prénoms tamouls, jadis interdits, sont maintenant permis et il est de bon ton de les employer. Le nouvel an tamoul est désormais un jour de fête officiel dans l'île et les personnes d'origine tamoule travaillant dans la fonction publique sont autorisées à prendre un jour de congé pour célébrer l'événement. Depuis 1990, la cérémonie du Divalee (le festival des lumières) est l'objet d'une spectaculaire célébration durant laquelle la musique et les danses indiennes sont présentées à la population de l'île. Enfin, la langue tamoule commence à être réapprise par les personnes d'origine tamoule, notamment par les enfants, qui peuvent maintenant l'apprendre officiellement dans les collèges publics.

   Les temps changent à La Réunion. Paradoxalement, c'est au moment où les originaires de l'Inde deviennent culturellement de plus en plus français, du fait de leur insertion dans toutes les sphères de la société, qu'ils peuvent ressentir le plus intensément la fierté d'être culturellement enracinés ailleurs. Après être nés tamouls et obligés d'être français, ils sont désormais citoyens français conviés à exprimer leur identité tamoule. Ce renforcement identitaire est néanmoins ambigu : la culture et la religion ancestrales, que les engagés et leurs enfants ont préservées dans des formes adaptées durant des temps difficiles, encourent aujourd'hui le risque de tomber dans une sorte de réification folklorisante dans sa récente ostentation, une ostentation produite par le climat idéologique actuel de la société réunionnaise multiculturelle - et sa politique touristique.

 


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