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   La disproportion des sexes parmi les engagés tamouls n'a pas permis à chacun d'entre eux de préserver et de transmettre tous leurs modèles culturels d'origine. Un grand nombre d'hommes ne pouvant pas épouser des femmes tamoules se sont mariés avec des femmes d'origine africaine et, plus rarement, d'origine européenne. Ceci explique pourquoi beaucoup de personnes dans l'île aujourd'hui ont des noms à consonance tamoule sans qu'il adhèrent pour autant aux valeurs indiennes. Les hommes qui purent épouser une femme tamoule furent quant à eux en mesure de maintenir de nombreux traits de leur culture d'origine dans leur vie privée et de les transmettre à leurs descendants. Ce critère d'endogamie ethnique est très important pour comprendre la culture et les pratiques tamoules dans l'île aujourd'hui : seuls ceux dont les ancêtres se sont strictement mariés avec des Tamouls ont pu actualiser les valeurs tamoules. Traitant ici des patterns de comportements de la population d'origine tamoule sur l'île, je concentre exclusivement mon attention sur ce milieu ethniquement endogame et sur son expérience culturelle.

   Comme le modèle républicain évite soigneusement toute référence à des distinctions ethniques et culturelles dans les recensements nationaux, il est pratiquement impossible de dénombrer exactement le nombre des originaires de l'Inde du sud à La Réunion. On peut toutefois considérer que, du fait des nombreuses unions mixtes, pas plus de dix pour cent des personnes ayant un ancêtre tamoul ont une ascendante strictement tamoule du côté paternel et maternel. Aujourd'hui, Si beaucoup de personnes ayant une origine tamoule travaillent toujours dans l'agriculture, un nombre croissant d'entre elles entre dans l'administration publique.

   Aujourd'hui, être tamoul à la troisième, quatrième ou cinquième génération à La Réunion signifie avoir implicitement intégré un certain nombre de valeurs indiennes dans le milieu familial. Cela signifie aussi que l'on doit faire avec le système de valeurs de la société réunionnaise, dont les modèles dominants sont français. Dans les contextes multiculturels, lorsque les valeurs familiales ne correspondent pas à ceux de la société globale, les personnes sont amenées à développer des stratégies adaptatives. En portant son attention sur certains aspects de la présentation publique du corps, sur les attitudes religieuses et sur le langage, on peut comprendre comment les membres la diaspora tamoule ont frayé leur chemin dans cette société dont les modèles dominants sont français sans perdre les principes de base de leurs représentations originelles de la réalité. La première adaptation réalisée par les Tamouls dans l'île concerne la tenue vestimentaire. La politique française d'assimilation culturelle les a contraints à adopter de nouveaux vêtements. Très tôt, les femmes tamoules cessèrent de porter leurs vêtements traditionnels et les hommes durent porter des pantalons. Par ailleurs, le port des anneaux indiens placés sur le nez ou autour de l'orteil, le port des chaînes placées autour de la cheville et le point que les femmes indiennes mettent sur leur front à hauteur du troisième œil, exprimant une spécificité culturelle, disparurent. Néanmoins, en dépit de ces changements, certaines continuités avec les modèles indiens apparaissent dans le fait que les filles et les femmes ne portent pratiquement pas de jupe ou de robe découvrant les genoux, particulièrement lorsqu'elles ont une ascendance strictement indienne. En ce qui concerne les ornements, ils n'ont pas disparu car ils ont un caractère très auspicieux dans les conceptions indiennes. La seule particularité réside dans le fait que les bijoux commencèrent à être exhibés de la même façon que dans la société d'accueil : aux oreilles, aux doigts, aux poignets et autour du cou. Une autre persistance des manières indiennes peut être observée dans la façon dont les femmes tamoules font un chignon avec leurs cheveux, que, dans une attitude propitiatoire, elle continuent à avoir longs. L'emploi de l'huile de noix de coco pour soigner les cheveux s'inscrit lui aussi dans la continuité des pratiques ancestrales. Parmi les autres attitudes indiennes maintenues à La Réunion, on peut aussi mentionner l'habitude d'ôter ses chaussures lorsque l'on entre dans la maison et la préoccupation constante avec la pollution, qui conduit à se laver fréquemment les pieds et les mains. Ces détails témoignent de la primauté de certaines conceptions indiennes vis-à-vis du corps et de sa présentation dans cette société française.

   La seconde pression importante sur les Indiens à La Réunion fut d'ordre religieux. En dépit de l'engagement contractuel qu'ils avaient signé, spécifiant notamment qu'ils pouvaient pratiquer librement leur propre religion, les premiers immigrants (une immigration dont on a vu qu'elle était plus ou moins contrainte) furent pratiquement interdits de prier leurs dieux hindous. Ils se sont ainsi inévitablement impliqués dans des pratiques discrètes, voire cachées auxquelles était associé un certain sentiment de culpabilité vis-à-vis des autres membres de la société. La déception des immigrants fut extrême lorsqu'ils réalisèrent que, finalement, tout était fait pour les convertir au christianisme. Lorsque à la fin du dix-neuvième siècle ils furent enfin autorisés à construire des temples hindous et à pratiquer officiellement leur religion, la grande majorité des propriétaires blancs les forçaient toujours à se convertir à la religion chrétienne dominante, à aller a l'église et à donner des prénoms chrétiens à leurs enfants. L'église et l'administration étant intimement liées, la non extériorisation d'une attitude chrétienne par les originaires de l'Inde faisait l'objet de critiques ouvertes et limitait l'intégration dans la société globale. Un sens de la conformité ainsi qu'une stratégie adaptative conduit parfois les immigrants et leurs descendants à hypercompenser le comportement attendu d'eux et à afficher certains modèles ayant cours dans la société d'accueil pour leur propre intérêt et avantage. La proportion de personnes d'origine tamoule ayant aujourd'hui pour prénom "Marie" ou " Jean " est à ce sujet tout à fait significative. Elle est même plus importante parmi eux que chez les autres catégories ethnique vivant dans l’île.

 


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