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Indes réunionnaises
    

     BOLLYWOOD, DE BARBÈS AUX CHAMPS-ÉLYSÉES.

    Dêva KOUMARANE


     Avant d’être connu aujourd’hui sous le vocable de BOLLYWOOD : mot formé des deux premières lettres empruntées à BOMBAY, capitale du cinéma indien, et les autres lettres à HOLLYWOOD, la ville capitale du cinéma mondial, le cinéma indien dans les années 60-80 n’était regardé et apprécié que par les immigrés non européens vivant dans la région parisienne.
    Le 28 décembre 1895 c’est au Salon Indien du Grand Café, boulevard des Capucines, qu’a eu lieu la première séance publique payante du cinéma inventé par Auguste et Louis Lumière.
    Le 7 juillet 1896 deux opérateurs des frères Lumière se rendirent à Bombay, aujourd’hui Mumbai,  louèrent une chambre à l’hôtel Watson de cette ville et y projetèrent plusieurs films d’actualité dont « L’Arrivée d’un train » devant deux cents personnes. Le ticket était à une roupie, un prix exorbitant à l’époque.
    Les spectateurs indiens continuèrent à regarder des films muets importés des U.S.A. et de l’Europe.
    En 1913,  D.G. Phalke (1870-1944) réalisa le premier métrage indien Raja Harishchandra. Il réalisa des films sur la mythologie hindoue. Il ouvrit le chemin à l’industrie cinématographique.

   Les Indiens appartenant à différentes régions, religions, langues, ethnies, bien avant l’arrivée du cinéma, étaient déjà familiarisés avec le théâtre tourné vers des thèmes religieux auxquels furent incorporés de la danse, de la musique, de la poésie, de la chanson.
    En 1929, le premier film parlant américain, Melody of Love sortit sur les écrans indiens.
    Alam Ara, le premier long métrage indien parlant naquit le 14 mars 1931. Il fut tourné en langues hindi et ourdou. Cette année-là le Mahatma Gandhi participa à la Table Ronde à Londres pour réclamer l’Indépendance pure et simple de son pays. La longueur du Film : 124 minutes !
    Producteurs et Réalisateurs firent du cinéma parlant une arme pour faire découvrir à leurs compatriotes les richesses philosophiques, culturelles, religieuses de l’Inde ancienne.
   En 1928 le célèbre roman Devdas, du Bengali Sarat Chandra Chatterji, fut adapté à l’écran : un film mythique qui continue toujours de faire pleurer les spectateurs, surtout les spectatrices... un amour voué à l’échec à cause des castes hiérarchisées. Depuis, plusieurs versions dans presque toutes les langues principales furent réalisées, la dernière version tournée en 2000 par le réalisateur Shanjay Leela Bhansali fut un immense succès en Inde et à travers le monde.

   L’Inde célébra son Indépendance politique le 15 Août 1947. Le cinéma, ou plus exactement les cinémas, naquirent dans plusieurs régions de l’Inde. Ils continuent d’aborder tous les sujets touchant à l’Inde libre mais enchaînée à des traditions ancestrales comme les castes, la situation dramatique des veuves, le mariage des enfants, les mariages forcés, les chasseurs de dot, les injustices sociales, la situation des femmes, les intégrismes religieux, etc.
    Les pays du Moyen Orient, du Maghreb, de l’Asie du Sud-est et la diaspora indienne  installée aux U.S.A., en Europe, et en Afrique sont toujours friands des films indiens, surtout de langue hindi.  Le cinéma kollywood du sud de l’Inde, de langue tamoule, est aussi enrichissant.
    Le public occidental, s’intéressa plutôt aux  films réalisés par Satyajit Ray (1921-1992), des films sur les réalités quotidiennes de la vie de l’Inde. En 1956 le Festival de Cannes distinguait son film Pather Panchali, premier volet d’une trilogie de la misère et de la révolte (adapté du roman de B. Banerji). Le public occidental découvrira ses autres films comme  Le Salon de Musique (1958), La Déesse (1960), La Grande ville (1963), Charulata (1964), Les Joueurs d’échecs, La Maison et le Monde (1984). Jean Renoir rencontra à Calcutta Satyajit Ray lors du tournage de son film Le Fleuve. Ils avaient de l’estime l’un pour l’autre. 

   Le cinéma indien correspond, on pourrait le penser, aux critères définis par Serge  Long, en octobre 1945, comme Membre du Comité du Congrès International du Cinéma : « Le Cinéma est une chose fluide, changeante, intouchable, indéfinissable, impalpable… Le cinéma est une chose mystérieuse qui fascine tous ceux qui l’approchent. Il est un tout qui renferme aussi bien le bon que le mauvais, le meilleur et le pire… le propre du cinéma est bien le fait que c’est un art et une industrie. C’est un art dont la réalisation est la plus chère du monde et qui n’est possible que parce que le nombre de ses consommateurs a pris une extension considérable » (Dans Cinéma d’Aujourd’hui, Ed. des Trois Collines. Paris 1946).
    Le cinéma indien avec ses chansons, ses poèmes, ses musiques, ses danses, a toujours des « consommateurs » fidèles et amoureux. Chaque film indien, qu’il soit tourné en hindi, en tamoul, en malayalam, en bengali, en kannada, est pareil aux plats indiens : à la fois épicés, pimentés, sucrés, amers, parfumés… tourné vers l’universel.
    Le cinéma, ou plutôt les cinémas, de l’Inde, semblent correspondre au vœu formulé par l’Ambassadeur de France, S.E. Henri Hoppenot, en 1945, lors du Congrès International du Cinéma à Bâle : « Je souhaite que chacun profite de cette confrontation des points de vue, des recherches, des techniques. Dans aucun domaine de l’art, l’enrichissement des uns ne profite plus immédiatement à la communauté de tous. Puisse, dans chaque pays, le cinéma démobilisé rester national sans devenir nationaliste, universel, sans devenir impérialiste. Puissent vos travaux apporter leur pierre à cette édification d’un art collectif, contribuer à ce que, par lui, les hommes et les peuples, rapprochés dans un délassement commun, apprennent à mieux se connaître, à mieux se comprendre ». (Dans Cinéma d’Aujourd’hui, Paris 1946). 

   A la sortie de la bouche de métro Barbès Rochechuart se trouve la salle de cinéma Louxor, aujourd’hui en rénovation après avoir rendu des bons et loyaux services au septième art. Cette salle était l’une des principales salles de cinéma à Paris qui programmait régulièrement des films indiens de langue hindi sous-titrés en français et en arabe. Ses films n’avaient pas à l’époque reçu le label Bollywood.
    Les immigrés originaires du Maghreb, de l’Afrique Noire et des originaires des anciennes Indes Françaises allaient  avec leurs femmes et leurs enfants rêver devant les images féeriques et multicolores venues de l’Inde, c'est-à-dire d’un Orient qui leur était à la fois lointain et familier. Parmi eux ceux qui avaient déjà goûté aux charmes de ces films dans leurs pays respectifs se souvenaient de ce fameux film hindi Ann traduit en français par Mangala, fille des Indes et Mother India. Leur imaginaire avait été nourri par des acteurs fétiches comme Raj Kapoor, Dev Anand, Dilip Kumar, Amitabh Bachchan, Dharmendra, et des actrices à la beauté enivrante telles que Nargis, Vijayathimla, Hema Malini, Madhu Bala, Sharmila Tagore et tant d’autres flottaient devant eux comme de doux pétales de roses du Bengale.
    Une partie du public français, surtout féminin, en s’éloignant, peut-être, de beaucoup d’illusions des événements de mai 68, découvraient le cinéma indien connu et reconnu comme le cinéma Bollywood, un cinéma qui parle de l’Amour, de l’Amitié, du dialogue des cultures et des religions etc…

    En 1985, dans le cadre de l’Année de l’Inde en France, des événements artistiques, cinématographiques, culturels, furent organisés dans l’Hexagone. Le cinéma indien eut une place honorable au sein de cette Année à la fois amicale et festive.
   En 1995 la France célébrait le centième anniversaire du cinéma. A la cinémathèque se déroula durant plusieurs semaines le premier et important Festival de films Indiens. Ainsi la France voulait rendre hommage au cinéma indien, l’un des plus anciens et toujours vivants dans le monde. Plusieurs films, originaires des différentes régions du sous-continent indien, furent projetés dans l’ancienne salle mythique de la Cinémathèque.
    Des cinéphiles français s’intéressèrent aux cinémas de l’Asie. Ils créèrent des festivals asiatiques. Comme Monsieur Patel, fondateur du Festival des films asiatiques de Deauville. Au sein de ces Festivals le cinéma indien continue d’occuper une place non négligeable. Des films d’auteurs et de Bollywood y sont régulièrement projetés. Les films Bollywoodiens paraissent longs pour les spectateurs occidentaux. Trop longs ? L’une des explications à cette longueur pourrait-elle se trouver dans l’un des textes de Jeannine Auboyer. Il y est stipulé : simultanéité et mouvement dans les arts d'Extrême-Orient : « Enfin se rapprochant encore davantage du cinéma dans son aspect formel, les fameux théâtres d’ombres traduisent sous une autre forme le déplacement du sujet et sa mobilité propre… Une des plus typiques peut-être est la poupée de Wayang qui sert, à java et à Bali, à retracer les épopées hindoues du Ramayana et du Mahabharata ; les séances durent parfois plusieurs nuits de suite, elles sont accompagnées par l’orchestre ou gamelan, dont les instruments à percussion (gongs, métallophones, etc), constituent un fond sonore d’une étrange fluidité ; un récitant et un chœur exposent l’action et les péripéties du drame… L’Asie s’est engagée avec une rare sensibilité – comme en bien d’autres circonstances – sur des chantiers qui auraient pu la mener à la complète réalisation de ses recherches mais, dédaignant la part technique et matérielle de cette réalisation, elle a préféré en demeurer à la philosophie de l’art, ce qui fut toujours, en fin de compte, sa suprême sagesse ». (Jeannine Auboyer, assistante au musée Guimet, L’Amour de l’Art, Paris 1949. 

   Le cinéma indien a permis au public occidental de penser que le rêve n’est pas une chose malsaine. Il peut faire partie de la vie si on sait l’apprivoiser, l’aimer et l’appeler  à chaque fois que la vie s’apprête à sortir ses griffes acérées. Le rêve ne détruit pas les souffrances. Il pourrait aider à les supporter sans se laisser abattre par elles.
    Jean Cocteau, poétiquement et merveilleusement, nous parle du Film et du Rêve : « Le film n’est pas un rêve qu’on raconte, mais un rêve que nous rêvons tous ensemble en vertu d’une sorte d’hypnose, et le moindre défaut du mécanisme, réveille le dormeur et le désintéresse d’un sommeil qui cesse d’être le sien… Par rêve, j’entends une succession d’actes réels qui s’enchaînent avec l’absurdité magnifique du rêve puisque ceux qui y assistent ne les eussent pas enchaînés de la même manière, ne les eussent pas imaginés, et les subissent, de leur fauteuil, comme ils subissent, dans leurs lits, des aventures étranges dont ils ne sont pas responsables… » (Jean Cocteau, L’Amour de l’Art, Paris 1949).

   Le Brady, situé au 39 bd de Strasbourg dans le 10ème arrondissement, non loin du quartier indien, projette régulièrement des films bollywoodiens. Il remplace en quelque sorte l’ancien cinéma Louxor.
    Le film bollywoodien ne néglige pas ce romantisme doré et ondoyant dans le vent de l’antique et de l’actuelle civilisation de l’Inde. Charles Baudelaire, qui s’était arrêté à l’île Maurice et à l’île de la Réunion, fut subjugué par la beauté d’une femme indienne présente dans ces îles. L’élément de la grâce féminine est essentiel dans le film bollywoodien. En Inde la femme c’est la Shakti, c'est-à-dire l’énergie de l’homme.

A une Malabaraise
 (Les Indiens et les Indiennes sont connus à la Réunion sous les vocables Malabars et Malabaraises

"Tes pieds sont aussi fins que tes mains et ta hanche
Est large à faire envie à la plus belle blanche ;

A l’artiste pensif ton corps est doux et cher ;
Aux pays chauds et bleus où ton Dieu t’a fait naître."

(Charles Baudelaire, Les fleurs du Mal,  Ed. Payot, Paris 1933, p. 291).

   Il savait mieux que quiconque les secrets de l’Art romantique quand il écrivait : « Qui dit romantisme dit art moderne, c’est-à-dire intimité, spiritualité, couleur, aspiration vers l’infini ». Le film bollywoodien aspire à la grâce, à la patience, à la tendresse, à la joie et à la douleur infinies !
   Le poème « La Romantique », d’Alfred de Musset, ressemble quelque part à des milliers de chansons d’amour.

La Romantique

"Va dire, Amour, ce qui cause ma peine,
A mon Seigneur, que je m’en vais mourir,
Et par pitié, venant me secourir,
Qu’il m’eût rendu la Mort moins inhumaine,
A deux genoux je demande merci,
Par grâce, Amour, va-t’en vers sa demeure.
                                               (A. de Musset – Extrait de la « Complainte de Minuccio »).

   Le film bollywoodien embrasse également dans sa vision le dilemme entre le Bien et le Mal.  

   Daniel Rops, écrivain et historien de la religion, considère comme essentielle la tâche suivante : « Celle de relier les connaissances bégayantes que nous avons pu acquérir à cette réalité fondamentale qui est le drame de l’homme se débattant dans le dilemme du Bien et du Mal, drame essentiel au premier chef, à travers lequel s’affirme ou se nie l’irréductible réalité de notre vie » (dans L’Amour de l’Art, page 191, Paris 1935).
    Le film bollywoodien est un rendez-vous du rêve, du drame, de la joie, de la comédie, de la violence, de la spiritualité, de l’amour, de la souffrance, du bien, du mal, du désespoir, de l’espoir, de la danse, de la musique, de la chanson, de la morale et encore d’autres choses bonnes ou mauvaises.

   La France a eu, grâce à Devdas, film mythique et à plusieurs « remake »,  ce rendez-vous précité. Le public français a découvert un autre visage du cinéma. Le film a provoqué des articles intéressants dans les journaux. Il a fait couler des larmes sur les joues des personnes sensibles. Devant le mausolée du Taj Mahal à Agra, dédié par un Empereur Moghol à l’Amour de sa vie, un Poète indien laissa éclater ses émotions de joie et d’admiration : « Le Taj Mahal, c’est une larme tombée sur la joue de l’histoire ». Ce film est devenu un fait de société. Il a ouvert la porte en France au monde bollywoodien. Le cinéma indien, dit de Bollywood, n’est pas vu uniquement pas les immigrés d’Afrique, d’Asie du Sud-est, du Maghreb, mais également par tout public curieux de découvrir des horizons à la fois lointains et proches. La salle Louxor, aujourd’hui fermée pour cause de travaux, a cédé sa place aux autres salles plus luxueuses où le cinéma populaire de l’Inde jadis n’avait pas droit de cité.
    Devdas resta quelques semaines à l’affiche au cinéma le Balzac, sur les Champs-Élysées. Comme quoi, il ne faut jurer de rien. Fontaine, je ne boirai jamais  de ton eau…
    Dans le magazine Studio de mai 2006, page 32, on lit les lignes suivantes décrivant un film bollywoodien : « et  puis il y a les couleurs, les ballets, les chansons, les décors, les tenues, les lumières de ce monde féerique, exotique et merveilleux. Une sucrerie pour les yeux. » 

   Sous le vocable de Bollywood, d’autres événements artistiques, culturels, continuent d’être créés.


© Dêva Koumarane - 2008

 

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