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Indes réunionnaises
    

     LE RENOUVEAU TAMOUL À LA RÉUNION

   Selvam CHANEMOUGAME


     Discours prononcé à l'occasion du colloque "Sur les routes de l'Inde" le 17 décembre 2011, Salle Colbert, à l'Assemblée Nationale.

   Mesdames, Messieurs,
   Je suis très honoré de pouvoir vous parler aujourd’hui des Tamouls et du renouveau de leur culture à   la Réunion.
   L’île de La Réunion se situe au sud ouest de l'océan Indien, à plus de 9 000 km de la métropole,  à 3800km de l’Inde, et à 1700 km des côtes africaines. Sa population actuelle est d’environ 850 000 âmes.
   L'Ile de la Réunion, inhabitée à sa découverte en 1513, a été peuplée par des immigrations successives. La population d'origine indienne déjà présente en 1672 sur l'île a connu un véritable essor après l'abolition de l'esclavage en 1848. Elle constitue l'essentiel des travailleurs engagés.   

HERITAGE
   Actuellement la population tamoule est estimée entre 25% et 30% de la population totale de l'île, soit environ 250 000 personnes.
   Bien sûr il n'y a aucune statistique officielle.
   Rappelons que l'île de La Réunion raconte, à travers sa diversité, les destins croisés de ces peuples venus d'ailleurs qui ont façonné jour après jour un devenir commun et ce, en dépit des tumultes du passé.

   Au cours de son histoire, l'expression culturelle de la composante indienne s'est beaucoup heurtée à la volonté d'assimilation du pouvoir colonial.
   Deux siècles d'isolement de notre pays d'origine, en particulier de notre province tamoule, ont affaibli considérablement nos liens culturels et religieux.
   La conversion planifiée à la religion catholique a entraîné pour certains l'abandon de la religion ancestrale et pour d'autres la double pratique religieuse.
   L'absence d'enseignement de la langue tamoule l'a fait disparaître de la vie publique. Elle  ne subsiste plus que dans le domaine religieux sous forme de chants et de prières.
   Les jours fériés pour les fêtes religieuses, pourtant octroyés dans le contrat d'engagement ne sont pas respectés. Les Indiens doivent adapter leur pratique au calendrier chrétien.
   Les services d'Etat Civil refusaient d'enregistrer les prénoms hindous aux enfants nés dans l'île. Ce refus va durer jusqu'en 1990.
   L'arrêt des approvisionnements en épices ou en textiles venus de l'Inde a précipité l'uniformisation de nos habitudes culinaires et vestimentaires.
   Malgré tout, l'apport de l'indianité au façonnement de la culture réunionnaise est indéniable.  La contribution sur les plans linguistique, culturel et architectural est indissociable de l'histoire même de La Réunion. Citons par exemple le repas créole type à savoir riz-cari-grains-rougail (cari et rougail étant des mots d'origine tamoule) qui est en réalité la ration de l'engagé indien ainsi qu'elle est définie dans les contrats de travail.

   Il est vrai que la découverte, si ce n'est la prise de conscience, de notre origine tamoule est récente. Les liens culturels, et encore plus physiques, avec la province d’origine de nos ancêtres avaient été rompus. Après un siècle d'isolement, les militants culturels des années 70 ont compris que nous, Indiens de la Réunion, étions avant tout, en grande majorité, des tamouls.
   Cette prise de conscience était  d'une importance extrême. Nous étions, en effet, à une époque où l'appellation « Malbar », imposée par la pensée dominante pour nous désigner, avait presque fini par nous convaincre nous-mêmes de sa justesse. Cette véritable révolution culturelle interne, nous la devons à des mouvements militants comme le Club tamoul, l'Union tamoule, l'association Franco-tamoule etc. Leur travail, qu'il convient d'apprécier à sa juste mesure, a valeur d'affirmation identitaire. Elle a ouvert la voie à un retour aux sources, certes semé d'obstacles et d'embûches, mais qui a le mérite de commencer à être tracé.
   D'ailleurs le premier livre d'apprentissage de la langue tamoule a été rédigé et publié en janvier 1972 par notre ami ici présent Monsieur Devakoumaren.  

RENAISSANCE
   C’est ainsi que, depuis quelques dizaines d’années, se dessine la tendance nouvelle d’un retour aux sources, dont l’objectif clair est de freiner les déperditions importantes et l’appauvrissement continu de l’héritage, du fait de la seule transmission orale de  ce dernier.
   Les jeunes générations, notamment, ne se satisfont plus de rites perpétués uniquement par les traditions et auxquels les anciens apportent des explications peu satisfaisantes ou n’en fournissent aucune.
   Le retour vers l’Inde est l’occasion d’un double ressourcement car c’est à la fois remonter à l’origine des rites et des croyances rencontrés ici, mais aussi accéder aux innombrables richesses de l’hindouisme dont les pratiques locales ne sont qu’un aspect particulier. A partir des fragments qui subsistent de la culture d’origine, on retrouve les pièces manquantes et l’histoire peu à peu se reconstitue. Le processus de déculturation est alors enrayé et retrouver une identité perdue pour tenter de la préserver, devient alors un combat légitime et enrichissant.
   Sur le plan religieux, ce processus de réappropriation se traduit de différentes façons :
- d’abord par le réapprentissage de la langue tamoule, certes laborieux,
- le retour aux mariages et rites funéraires hindous y compris la crémation bien que timidement encore,
- le recours de plus en plus répandu aux prénoms tamouls, leur usage étant devenu légal depuis peu.
- et l’abandon de la double pratique religieuse pour une adoption exclusive de l’hindouisme comme seule religion par des familles de plus en plus nombreuses..

   La ré-indianisation passe aussi par l’introduction dans les temples de tout un ensemble  de nouveaux instruments de musique. Quelques instruments traditionnels étaient déjà utilisés : les tambours, morlon, sati (percussions), naslon, tâlon et matalon.
   Cette gamme s’enrichit désormais :
- du thavil (morlon)
- et du nadaswaram joué à la façon indienne pour accompagner les processions religieuses.

   Pour les fidèles se rendant au temple, le port du sari pour les femmes et du vesti pour les hommes se généralise peu à peu et l’on affiche son indianité sans complexe.
   Les édifices religieux sont passés de leur version rudimentaire des débuts (toit de paille - bois sous tôle) aux constructions en dur puis à la remise aux normes architecturales traditionnelles tamoules qui se poursuit actuellement et qui est réalisée par des architectes et des artisans venus du Pays Tamoul.
   Pareillement, la venue de prêtres mauriciens pour officier dans des temples de l’île a été une première étape vers un certain retour aux sources, les Indiens de Maurice ayant conservé beaucoup de leurs traits culturels et des liens étroits avec l’Inde en raison du caractère moins assimilateur de la colonisation anglaise.
   Cette évolution vers une certaine orthodoxie religieuse s’est poursuivie avec l’arrivée de prêtres brahmanes dans les temples notamment côtiers, engendrant une sorte de brahmanisation du culte local, resté jusqu’alors sous la conduite des poussaris (prêtres locaux).
   Des ashrams (centres monastiques) font aussi leur apparition, fondés par des Réunionnais après de longues années d’études de théologie en Inde dans des ordres monastiques de renommée mondiale et au terme desquelles ils ont prononcé leur vœu de renoncement (sanyâsa) et obtenu le titre de swami (maître).
   Ces ashrams permettent aux Réunionnais d’origine indienne, ou non, d’accéder aux grands courants spirituels de l’Inde et à la pensée de ses plus grands maîtres.
   Cependant, à mesure que le culte local s’enrichit d’apports extérieurs indiens, certains aspects de ses traditions populaires tendent à disparaître faute d’acteurs culturels pour les faire vivre. C’est le cas notamment du théâtre populaire d’inspiration religieuse appelé nardegon ou bal tamoul.
   Bien évidemment, ces nombreux changements ne se sont pas faits sans heurts et ont été diversement accueillis. L’arrivée de prêtres brahmanes indiens (gouroukal) a pu par exemple susciter  quelques émois chez les partisans d’un hindouisme local et populaire. Beaucoup reconnaissent toutefois que la codification de certains rituels et la référence à une norme écrite (Véda ou Agama) permettent d’éviter des dérives individuelles et répondent mieux aux besoins de lisibilité du fidèle.
   La remise aux normes architecturales en vigueur au sud de l'Inde et qui suppose la destruction totale ou partielle de temples anciens existants n'a apparemment pas provoqué de  contestations pour atteinte au patrimoine religieux. Il est vrai que la décision de rénover est prise au sein du conseil d'administration de chaque temple.
   En effet, la population tamoule a socialement évolué depuis la période de l'engagisme.  Essentiellement rurale et vivant d'agriculture, elle est devenue également citadine et est maintenant présente dans le secteur tertiaire, l'Education Nationale et les professions libérales. Pour ceux qui ont  changé de statut social, il est légitime de rechercher une religion plus à leur image et qui répond mieux à leurs aspirations profondes.

LE ROLE  DE TAMIJ SANGAM
   Ne souhaitant pas de repli sur soi, l’association régionale TAMIJ SANGAM, née en 1989, et qui signifie Rassemblement Tamoul, a voulu sortir du cadre restreint des temples   pour occuper l’espace public,  afin de donner une nouvelle impulsion aux festivités indiennes. C’est ainsi qu’elle peut atteindre son objectif qui est d’aller à la rencontre des autres composantes de notre société et de partager nos valeurs en toute fraternité.
   Cette démarche d’intégration a été bien comprise et appréciée par le public.

   Les grandes réalisations de notre mouvement culturel ont été des étapes importantes de notre affirmation identitaire :
*Tamij Sangam a popularisé le nouvel an tamoul en avril 1990.
*Elle a initié la célébration populaire du Dipavali, fête de la lumière, depuis octobre 1990. Ces rassemblements culturels ont attiré des dizaines de milliers de Réunionnais, toutes origines confondues.
*En octobre 1997, une stèle a été érigée en mémoire des engagés indiens sur le site des Lazarets à la Grande Chaloupe. Il s’agit du lieu où ces premiers immigrants à peine débarqués étaient enfermés en quarantaine avant d’être répartis dans les grandes plantations.
*Une statue en bronze de Mahatma Gandhi a également été installée à Saint-Denis, chef-lieu du département, le 30 Janvier 1999. Des manifestations sur le thème de la non-violence se produisent régulièrement au pied de cette « Grande Ame ».
*Les artistes indiens désormais viennent régulièrement pour des prestations et des échanges avec les artistes locaux.
*De nombreux Réunionnais voyagent en Inde et découvrent le pays de leurs ancêtres.

CONCLUSION :
   Ce renouveau tamoul devient donc de plus en plus visible et ne concerne pas uniquement les personnes d’origine indienne. Beaucoup de Réunionnais de toutes origines pratiquent l’hindouisme. Les écoles de danse et de musique indienne sont fréquentées par tout le monde, sans distinction aucune.
   Une conséquence remarquable de ce renouveau est que le terme « tamoul »  se met effectivement à remplacer de plus en plus et à tous les niveaux celui de  « malbar » jugé le plus souvent impropre ou à connotation péjorative.
   Néanmoins, il existe encore des revendications non satisfaites. Citons simplement deux d’entre elles :
è
L’hindouisme, religion très pratiquée dans l’outre mer et aussi en métropole, n’est toujours pas reconnu par le bureau des cultes du Ministère de l’Intérieur. Cela crée des difficultés d’application pour les Hindous, de certains décrets concernant les religions minoritaires reconnues en tant que telles sur le territoire national. L’hindouisme n’a pas droit à une émission religieuse sur la télévision publique à cause de cette non reconnaissance.
è
Tamij Sangam revendique depuis son existence il y a vingt deux ans, l’instauration d’un calendrier de jours fériés équitable pour toutes les confessions de l’île. Des dossiers ont été déposés à la Préfecture et auprès de chaque ministre de passage dans l’île. Paris reste silencieux à notre demande.

   Je tiens à rappeler encore une fois le principe qui guide notre action. :
   Nous pensons que dans notre monde en perpétuelle mutation, l’enracinement dans une tradition ne doit pas être vécu comme un repli identitaire, mais il doit nous donner les repères essentiels pour pouvoir avancer vers le futur sans nous égarer dans des nombreux dédales.
   Nous croyons que,  à l’instar de toutes les communautés humaines, la communauté tamoule doit savoir s’adapter et évoluer pour continuer à exister sans perdre son âme.
   La revendication identitaire ne signifie pas repli communautaire et ne se pose pas en termes de conflits et d’affrontements, mais doit plutôt se fonder sur un dialogue inter-culturel et inter-religieux sincère et constructif.
   Dans le grand concert des cultures du monde qui doivent s’exprimer dans leur diversité, chaque note apportée contribue à l’harmonie de l’ensemble. Il s’agit tout simplement pour nous de mieux connaître nos richesses pour mieux les partager.
   C’est la définition même de notre vivre ensemble à l’île de la Réunion.

 © Dr Selvam Chanemougame, 2011

 

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